LA METALLURGIE DU FER A TRAVERS LES AGES
En europe on considère :
- Le premier âge du fer : Le Hallstatt, de 1200 à 500 av.J.C.
- Le second âge du fer : La Tène, de 450 av. J.C. à la conquête romaine.
- L’Antiquité gallo-romaine : de 52 av. J.C. à 478 ap. J.C.
- Le Moyen-Age : de 480 à 1480 (début de la Renaissance)
Les métallurgistes de l’âge du bronze avaient déjà une grande expérience et une maîtrise des techniques des bas-fourneaux. La difficulté d’obtenir du fer était surtout due à sa haute température de fusion (1535 °C). Le fer est déjà mentionné chez les Hittites au 2 millénaire avant J.C. Les Africains au sud du Sahara ont élaboré eux-mêmes les procédés de fabrication du fer depuis la très haute Antiquité, cependant les premières preuves de l'utilisation du fer remontent à environ 3000 av. J.C., chez les Égyptiens et en Anatolie.
L'Age du fer débute vers 1100 av. J.C. dans le monde méditerranéen et vers 800 à 700 av. J.C. dans le nord de l'Europe. En Europe occidentale, l'Age du fer correspond globalement à la civilisation des peuples celtes. Dès cette époque, les ressources naturelles présentes un peu partout en Gaule vont permettre un essor de la métallurgie du fer.
En France et plus particulièrement dans l’Yonne, les plus anciens bas-fourneaux étudiés remonteraient au 7 siècle avant J.C. (sénonais). Les types de fours les plus anciens, à la production modeste, dits à scories piégées, sont présents en grand nombre dans le sud de la Puisaye, plus rares dans le centre de la Puisaye, et quasiment absents au nord. Vers la Tène finale, des ateliers plus importants et plus élaborés semblent occuper la totalité de la Puisaye.
Après la défaite de Vercingétorix, l’État romain va développer son contrôle sur les territoires récemment conquis. L'usage du fer y était déjà très répandu. A partir de 70 ap. J.C (pax romana) , les occupants romains vont intensifier leur main-mise sur la production du fer en Gaule, directement à partir de Rome (metalla publica). En Puisaye comme dans toutes les régions riches en minerai de fer, de très grosses unités de production verront le jour, cohabitant une importante production privée. Les romains engageront des moyens considérables et des techniques innovantes pour atteindre les plus hauts rendements et aboutir même à la production de scories à laitier dignes des hauts-fourneaux modernes. On peut estimer que la production de cette époque (en 300 ans) atteint 80% de la production toutes époques confondues. Le site de Tannerre est un des deux plus grands de France, en concurrence avec le site des Martys près de Mazamet (département de l'Aude). D’autres grands ferriers existent aussi à proximité : Aillant-sur-Tholon, Les Ormes, La Villotte, Toucy, Fontaines, Ronchères, Saint-Fargeau, Villefranche, Villiers-Saint-Benoît, Dracy, Mézilles, Saint-Privé, La Ferté-Loupière, ou dans la Nièvre proche dont Saint-Amand en Puisaye ou Arquian.
Après la chute de l’empire romain, une faible activité subsistera en Puisaye. De tout petits ferriers sont très présents autour de St-Fargeau, jusqu’à Lavau, ainsi qu’au nord de Villiers-St-Benoît, qu’on pourrait attribuer au haut Moyen-Age. Les archives médiévales sont très peu loquaces sur la production de fer en Puisaye. Il est plus souvent fait allusion à des forges qu’à une réelle production.
LA PRODUCTION DU FER EN BAS-FOURNEAU
La réaction de réduction du minerai de fer se produit en milieu réducteur (un bas-fourneau), à une température de 800 °C à 900 °C. En brûlant, le carbone du charbon de bois, qui se combine avec l’oxygène de l’air pour former du monoxyde de carbone, va traverser et imprégner le minerai en le réduisant, c'est-à-dire qu’il capte les atomes d’oxygène contenus dans l’oxyde de fer (minerai) pour restituer du fer sans oxygène dans sa composition chimique, donc du fer métal. Les impuretés du minerai, elles, vont fondre sous forme de scories liquides contenant encore des proportions de fer pouvant atteindre de 30 à 40 % du poids des scorie. Le rendement est faible par rapport aux techniques actuelles. Dans les grands établissements, le rendement a été amélioré par ajout de fondant (marne), ce qui donne des scories vitreuses dites à laitier. Le fer produit a l’aspect d’une masse plus ou moins spongieuse qui reste à un stade pâteux, voire solide, se coagulant dans la partie la plus chaude du four.
Pour terminer l’opération, il suffit alors de percer la poche de scories liquides au niveau de la porte du four, ce qui produit un écoulement de cordons incandescents et rougeoyants. Les coulures s’amalgament en une grande plaque de coulées caractéristiques, que l’on voit très souvent dans les ferriers | |
Après refroidissement du four, l’éponge de fer (appelée loupe par certains) pouvait être extraite. Le four ne se vidait pas intégralement de ses scories. Celles restées collées à l’agrégat de fer pouvaient se détacher assez facilement à la massette, car très fragiles et cassantes. Dans la phase suivante, le forgeron réchauffera le bloc jusqu’à une température de 1.000 °C et le martèlera à chaud sur une enclume pour en éliminer progressivement les impuretés jusqu’à obtention d’un produit pur. |
LE MINERAI DE FER EN PUISAYE
Tant qu'il fut abondant, le minerai a été ramassé à la main en surface. Puis il a fallu le rechercher et creuser des trous d'extraction, parfois même des galeries, pour trouver des « poches ». En Puisaye, il semble qu'on ait utilisé 3 sortes de minerais :
- l'hématite rouge, oxyde de fer, qui se présente le plus souvent sous la forme de gros blocs et qui contient 70% de fer;
- la limonite, hydroxyde de fer, qui peut se présenter en nodules, et qui contient 60% de fer: c'est sans doute le plus utilisé à Tannerre;
- le grès ferrugineux, (aussi utilisé en construction à partir du XIe siècle) : roche sédimentaire composée essentiellement de quartz mêlé à de l'oxyde de fer, limonite ou hématite, il ne contient qu' environ 30% de fer et provient de carrières.
Pour un rendement optimal, le minerai est soigneusement préparé. Il est lavé pour enlever les résidus de terre (dans l'étang ou dans une mare aménagée ou grâce à l'eau du puits). Il peut être grillé pour enlever la gangue, le déshydrater, le rendre plus friable et favoriser les échanges chimiques lors de la réduction Enfin il doit être concassé, réduit en morceaux de moins de 3 cm.
Sources : Jean-Pierre Piétak : bulletins du Vieux Toucy n° 68 (1998), n° 77 (2007), n° 78 (2008), n° 81 (2011)
- Détails
- Écrit par : François Girard
- Affichages : 12492
LA FORTERESSE MEDIEVALE : la maison du Mouton
Les ferriers de la Garenne ont servi d'assise à une ancienne forteresse un temps appelée à tort « la Motte Champlay ». Sans doute construite d'abord en bois puis en pierres, elle aurait protégé l'exploitation du fer. Elle se situe auprès d'une voie romaine venant de Toucy et desservant de nombreux ferriers (M. Jean-Pierre Piétak). Au Moyen Age, elle surplombe également le chemin reliant Toucy à la Loire par Villeneuve et Bléneau.
Deux aveux au comte de Bar du début du XIVe siècle, retrouvés par M. Claude Mercier dans les archives du château de St Fargeau (Archives nationales), mentionnent
« la maison de Tannerre que l'on appelle la maison du mouton ».
Le premier concerne Jean Danais écuyer et le deuxième Agnès de Chaussin.
Controverse :
Au cours de la guerre de Cent Ans, des bandes armées tant anglaises que françaises, ravagent les campagnes, pillent, rançonnent villes et villages. Un capitaine anglais, Robert Knowles installé à Malicorne sévit dans la région. Des documents anciens évoquent la prise de la Motte Champlay par ce capitaine (1358). Les historiens, pensent que ces archives parlent de Champlay près de Joigny. Au XIXe siècle (1849), voulant démontrer qu'il s'agissait de la forteresse de Tannerre, Aristide Déy a effectué un relevé des vestiges tannerrois et a dénommé ce château la Motte Champlay ; cette appellation a été reprise maintes fois sans vérification.
Il s'est simplement appuyé sur le fait que Etienne de Champlay possédait à Tannerre, des terres voisines d'Agnès de Chaussin, par la suite ces terres ont été regroupées et les seigneurs de Tannerre ont pris le titre de Tannerre-Champlay mais aucun texte ne fait mention de la motte Champlay en parlant du château.
La Motte Champlay de Tannerre d'après Aristide Déy : Au 14ème siècle, la forteresse entourée de fossés avait la forme d'un parallélogramme. A l'intérieur deux forts et un fortin eux-mêmes entourés de fossés correspondaient par des souterrains. Le reste de la surface était occupé par des casernes et une basse-cour.
Des doutes sur la rigueur de ce relevé subsistent toutefois, nombre d'éléments n'ayant pu être retrouvés.
La forteresse de Tannerre a bien été détruite, même si on ne peut affirmer avec certitude que Knowles est l'auteur de cette attaque. Elle ne sera jamais reconstruite.
La population a fortement diminué, victime de ces destructions et sans aucun doute affaiblie aussi par les famines et la peste qui depuis la grande épidémie de 1348 sévit de façon sporadique. Comme dans une grande partie de la France, les cultures sont sans cesse détruites par les pillards, le bétail volé, les outils détruits : les survivants se rapprochent des villes mieux protégées et les campagnes se désertifient.
Il faut attendre la deuxième moitié du XVe siècle pour que le village se reconstruise et que les défrichages et les travaux agraires reprennent sous l'impulsion des nouveaux seigneurs, la famille Dupé-Lespervier-de Thoisy. L'église est restaurée et un nouveau château construit au bord de la rivière.
Eglise de Tannerre : armoiries Dupé
Le grand ferrier de la Garenne dépendait du château (sur les plans anciens, il est mentionné Garenne du Château) et son nom même de « garenne » indique que cet endroit, inculte à cause de la présence des scories, servait de réserve de chasse.
Les ruines de la forteresse ont été bouleversées par l'utilisation des pierres pour la construction des maisons du village puis, au XXe siècle par l'exploitation intensive des scories et l'utilisation d'engins destructeurs.
Il subsiste aujourd'hui une motte en forme de parallélogramme dont la base sud et l'angle sud-ouest sont encore visibles. Seuls les fossés sud et ouest sont bien marqués.
Sources en ordre chronologique de parution :
Aristide Déy : Etudes historiques sur le bourg de Tannerre, bulletins de la Société des Sciences Historiques et Naturelles de l'Yonne, 1849 et 1852.
Ghislaine Noyé : Fortifications de terre dans la seigneurie de Toucy, Archéologie médiévale tome VI-1976, Centre de Recherche Archéologiques Médiévales, Caen.
Jean-Pierre Piétak : bulletins du Vieux Toucy n°68 (1998), n°77 (2008), n°81 (2011).
Annick Rapin : Heurs et malheurs des châteaux de Tannerre, bulletins du Vieux Toucy n° 84 (2014) et n° 85 (2015).
Claude Mersier : Le puzzle de l'histoire locale : quelques documents pour la « ville de Tannerre », bulletin du Vieux Toucy n°87 (2017).
- Détails
- Écrit par : Annick Rapin
- Affichages : 9176
L'EXPLOITATION DES SCORIES AU DEBUT DU XXe SIECLE
Le ferrier (appelé aussi crécis) est constitué des résidus de la réduction de fer, des débris des bas-fourneaux, des restes de charbon de bois, de cendres : tous ces déchets produits par la sidérurgie gallo-romaine. Ces matériaux se sont amalgamés en couches successives formant parfois des amas immenses. « Le ferrier russe » mesurait 18m de haut et 80m de long (abbé Ragot).
Les scories ont été réutilisées par la suite pour :
- l'empierrage :
Le ferrier sert à empierrer les chemins, les routes, le ballast des voies ferrées (au XIXe siècle les voies de communication se développent considérablement), à consolider les cours de fermes, d'école, de maisons particulières : ce matériau qui a la réputation d'être solide, facile à extraire et surtout peu onéreux était particulièrement apprécié.
- l'émaillage des pots :
Dès la fin du XVIIe siècle, le laitier est employé par les potiers de Puisaye pour émailler leurs pots. Le laitier est réduit en fine poudre et après cuisson donne une couleur vernissée dont les tons varient de l'orangé au marron foncé. Son usage se répand au XVIIIe siècle et l'on voit alors apparaître en Puisaye des moulins spécialisés pour le concasser : les moulins à laitier. - Le laitier est quelquefois aussi utilisé en maçonnerie à titre décoratif.
- en sidérurgie
On a cherché à récupérer le fer restant dans les scories et pour ce faire, on a expédié le ferrier dans les hauts-fourneaux de Lorraine. Les scories auraient eu également un rôle de stimulant pour les hauts-fourneaux.
Dès 1906, la famille de Lestrade, propriétaire du site de la Garenne, cherche en collaboration avec des industriels, à mettre en place l'exploitation à destination de la sidérurgie, plus rentable que l'empierrage.
En 1907, les scories sont acheminées jusqu'à la gare de Villiers-st-Benoît dans des tombereaux tirés par des chevaux ce qui est laborieux et endommage les routes.
En 1908, MM. Roulina et Olivier, industriels, achètent le droit d'exploitation du site. Un industriel lorrain procède alors à l'analyse des scories de Tannerre : le fer restant mais aussi le phosphore et le manganèse présentent un intérêt.
L'exploitation intensive se met en place et on envisage la création d'une voie ferrée reliant Tannerre à Villiers.
Le travail est alors principalement manuel: crochet, pioche, pelle, râteau, fourche, brouette, crible sont les outils utilisés.
Les ouvriers, alignés, attaquent les buttes de ferrier à la pioche. Ils jettent les scories sur un gros crible au bas duquel se trouve une brouette; les gros morceaux sont ainsi récupérés. Des planches facilitent le déplacement de brouettes jusqu'aux wagonnets eux-mêmes vidés dans des wagons à destination de Villiers. Les scories sont expédiées aux Aciéries de la Marine Française à Homécourt et à Pont-à-Mousson en Meurthe et Moselle.
En 1914, la guerre met un arrêt aux expéditions : la Lorraine est occupée par l'armée allemande et l'un des concessionnaires, Charles Roulina est mobilisé. Puis, l'exploitation, cédée à une autre société dont le directeur est Louis Gauthier, reprend de façon irrégulière. Pour pallier au manque d'ouvriers partis à la guerre, on emploie des réfugiés belges et des Italiens. (1916). Parfois même les femmes effectuent ce dur labeur.
Des bâtiments sont construits sur place. On a ainsi gardé le souvenir de la «cantine », grand bâtiment de briques de 20 m sur 10 m où les ouvriers pouvaient se restaurer. Certains ouvriers devaient y dormir car le bâtiment était vaste et possédait un étage, sans doute à usage de dortoir.
LE TRAIN RELIANT LE FERRIER DE LA GARENNE A LA GARE DE VILLIERS-SAINT-BENOÎT
(7,3 km) d'après M. Roger Loffroy
Les premiers transports de scories étaient effectués dans des tombereaux tirés par des chevaux. On envisagea dès 1906, la création d'un transport par rail type Decauville à traction animale. Après plusieurs projets qui ne purent se réaliser, les travaux commencent en 1911 : il s'agit cette fois d'un chemin de fer à voie étroite devant respecter des normes précises. Les travaux sont achevés fin 1912.
Matériel mis en service:
- 3 locomotives à vapeur
- Des wagonnets à 2 essieux à benne triangulaire
- Des wagons-tombereaux à 2 essieux à benne fixe rectangulaire
- Sur le site de la Garenne, un système complexe de plaques tournantes et d'aiguillages est installé, un hangar-atelier est construit.
Trajet:
- 3 wagons sont conduits jusqu'à la station des Mussots: la pente très raide ne peut être franchie avec les 6 wagons.
- La locomotive retourne chercher 3 autres wagons puis repart avec les 6.
- A mi-parcours, (au bois Carré), sur un site aménagé, le train s'arrête pour approvisionner la machine en eau si nécessaire.
- A l'arrivée à Villiers, une deuxième locomotive qui était en attente, pousse le convoi pour accéder à l'estacade.
- Après déchargement, la première locomotive reste en attente tandis que la deuxième retourne à la Garenne avec les 6 wagons vides.
- Le convoi vide croise, soit à la prise d'eau, soit aux Mussots, un convoi plein tracté par la troisième locomotive .
6 trains circulent ainsi chaque jour, transportant 200 à 240 tonnes de scories.
La ligne fonctionne jusqu'en 1931. Elle est abandonnée, concurrencée par le transport par camion. Elle est entièrement démontée et le matériel vendu.
Après la deuxième guerre mondiale, seule l'exploitation pour l'empierrage se poursuit : les scories sont vendues pour l'entretien des routes, des chemins et des cours. Des engins mécaniques font leur apparition : pelleteuse, bulldozer ... Ils sont très efficaces mais bouleversent le site. Les vestiges historiques, traces gallo-romaines et du château-fort, sont détruits ou fortement endommagés.
En 1982, grâce à la ténacité de M. François-Pierre Chapat, le site est classé Monument Historique et l'exploitation cesse définitivement.
Sources:
François-Pierre Chapat : la Puisaye au temps de Ferriers (1980-1997).
Roger Loffroy : bulletin du Vieux Toucy n° 68 (1998).
- Détails
- Écrit par : Annick Rapin
- Affichages : 10621